- Posted by Chirayil Thomas
- On février 14, 2017
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Messe en action de grâce pour la béatification du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus
Montréal, 4 février 2017
Homélie du Nonce Apostolique, Mgr. Luigi Bonazzi
Chers frères et sœurs,
Au début de notre célébration eucharistique nous avons suivi la belle présentation du Bienheureuse Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, faite par le Père Claude, Prieure des Carmes. Nous pouvons maintenant continuer notre regard, mieux encore notre contemplation, sur la personnalité humaine et chrétienne aux multiples facettes de notre frère, de notre ami et père, Marie-Eugène de l ‘Enfant-Jésus, à la lumière de la parole de Dieu que nous a été proclamée.
Dans ce regard contemplatif, je me laisse conduire par l’intuition de Monseigneur Guy Gaucher, qui dans son œuvre La vie du Père Marie-Eugène, voit dans le fondateur de Notre-Dame-de-Vie une créature “Livré à la grâce de Dieu et ami de l’Esprit Saint”.
- «Ami de l’Esprit Saint”. Dans sa grande Lettre aux Romains, notre première Lecture, St. Paul nous a rappelé qu’un fils de Dieu, un véritable fils de Dieu, est celui qui se laisse conduire par le Saint-Esprit : “Tous Ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, Ceux-là are fils de Dieu » (Rm 8,14).
Grace à l’Saint-Esprit, nous prenons conscience d’être, dans le Christ et avec le Christ, héritiers de Dieu, capables de Dieu, présence de Dieu, une présence qui fait fleurir sur nos lèvres et bondir de notre cœur la parole « Abba ! – Père». Avec le désire d’approfondir la pensée de Saint Paul, nous nous demandons : «Qui est le Saint-Esprit ?”. La foi chrétienne nous répond : le Saint-Esprit est Dieu. Comme le Père est Dieu, comme le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu. C’est le mystère de Sainte Trinité. Et parce que Dieu est Amour (cfr. 1Jn 4,7), le Saint-Esprit est Amour. Nous pouvons donc avoir part à l’Esprit Saint si nous aimons. En dehors de l’amour il n’y a pas de Saint-Esprit.
Mais – et je me pose spontanément une nouvelle question – quelle est la caractéristique propre de l’Amour qui est le Saint-Esprit ? Nous pouvons répondre brièvement que si le Père est “Amour-qui-engendre”, puisque Il se donne totalement et «le premier» au Fils (le Père est l’Amour qui «se donne»), et si le Fils est « Amour-engendré », parce qu’Il reçoit tout du Père et qu’Il Lui redonne tout dans une mise à disposition de soi infinie et parfaite (le Fils est l’Amour qui « accueille et donne en retour », l’Esprit Saint qui procède de ce mutuel échange – de ce don de soi et de l’accueil de l’Autre – du Père et du Fils, l’Esprit Saint est “Amour-communion”, communion qui est en même temps et inséparablement, unité et distinction. Le Saint-Esprit est « communion » et « distinction » entre le Père et le Fils.
[Puisque dans l’économie « interne » à la vie trinitaire, c’est l’Esprit Saint qui « manifeste » et « fait » la communion, dans l’économie “externe” c’est aussi à Lui – Don du Père et du Fils – qu’est confiée la mission de nous rendre participants de la communion trinitaire. Pour cette raison il y a un lien indissoluble entre unité ecclésiale et action de l’Esprit : «la communion ecclésiale est un don, un grand don de l’Esprit Saint» (ChL n.20). ]
Ce que je viens de dire, on le voit lumineusement accompli dans la vie du bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. Justement parce qu’il était un «ami du Saint-Esprit”, sa vie nous la voyons clairement caractérisé par ce qu’il aimait appeler «antinomies», à savoir des aspects de sa personnalité qui pourraient apparaitre contradictoires ou paradoxales, mais qui ne le sont pas, parce qu’ils trouvent leur synthèse, leur unité enrichissante, grâce à «l’action de l’Esprit Saint ». C’est ainsi qu’il a été, à la fois, “contemplatif et actif ; extraordinaire par certaines grâces et ordinaire dans le quotidien ; déterminé à marcher et patient ; fort et faible ; exigeant et plein de bonté paternelle ; avide de solitude et apôtre parcourant le monde ; combatif et calme ; paysan et théologien ; mortifié et libre de tout… » (Guy Gaucher, La vie du père Marie‐Eugène, p. 188‐189).
Par ces caractéristiques de sa riche personnalité humaine et chrétienne, le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus se montre à nous comme image lumineuse de la Vierge Marie, Mère de Jésus et Mère des chrétiens, dont il portait le nom. La Vierge de Nazareth, en fait, est elle aussi, d’une manière éminente, la créature que nous pourrions appeler la «femme des antinomies”. J’offre quelques exemples : Marie est “Mère” de Dieu, oui, mais aussi “fille de Dieu” ; “corédemptrice”, oui, mais aussi “rachetée” (par une “grâce anticipée” qui l’a préservée du péché originel et l’a rendue immaculée.) Vierge du Silence, oui, mais aussi Mère de la Parole (parce qu’en elle la Parole s’est faite chair). Femme “contemplative”, oui, mais aussi Femme “active”, comme elle le montre avec une force impressionnante qui, à Cana (cf. Jn 2, 1-12). Femme des Béatitudes, mais aussi Femme de la “kénose”, qui vit associée à Jésus crucifié. Et on pourrait bien continuer…
Pour conclure ce premier point, je voudrais dire que dans le Père Marie-Eugène resplendit l’authentique personnalité chrétienne, qui est toujours une «personnalité trinitaire», celle de celui qui – parce qu’il vit « l’amour trinitaire » – devient une «personne communion», capable de mettre harmonie dans toute diversité, artisan d’un monde nouveau, dans la multitude des peuples et des cultures.
- “Livré à la Grâce de Dieu”. Lorsque, dans mon esprit résonne le mot «grâce», je pense spontanément et tout de suite à la réponse que Jésus Ressuscité donna à l’apôtre Paul, qui lui avait demandé d’être libéré de certaines difficultés personnelles. Il lui dit : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse »” (2Cor 12,9).
La grâce n’est pas quelque chose. Elle est «quelqu’un », elle est une personne : Jésus est « la grâce ». Par sa réponse Jésus voulait dire à Paul : ” Moi je te suffis ; ai confiance en moi !”. Le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, comme tous les saints, a bien compris tout cela, et il s’est donc “livré à la Grâce de Dieu”. Il s’est mis dans ses mains se laissant conduire par Lui, comme le crayon se laisse conduire par la main de l’écrivain, et le pinceau par la main de l’artiste.
Pour le Père Marie-Eugène « le baptisé est une personne qui vit sous l’influence de l’Esprit Saint de manière ordinaire ». Il faut agir, certes, mais en réponse à l’appel de Dieu. Comme j’ai appris d’un sage père jésuite pendant mes années de service dans la Nonciature en Espagne: « Lo proprio de Dios es hacer, lo proprio del hombre es dejarse hacer (le propre de Dieu est faire, le propre de la créature est se laisser faire) ». La vocation de l’homme, sa grandeur, est dans le développement d’une relation filiale et confiante avec Dieu. Sa finalité, en même temps que son chemin, c’est le service de l’Église et l’ouverture aux autres.
Et quelle est l’expérience qu’on fait ? La vie du bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, une vie pleine d’œuvres – et de bonnes œuvres ! – confirme la promesse que Jésus fait dans l’Evangile : “de son cœur couleront des fleuves d’eau vive” (Jn 7,38). Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus dit à propos de ce passage de l’Evangile : « Car, comme le dit Notre Seigneur, celui qui a l’Esprit et qui croit en lui, des fleuves de vie jaillissent de son sein (Jn 7,38), l’Esprit Saint se répand par cette âme. Des flots de vie et de lumière descendent sur les âmes, par l’Esprit Saint mais aussi par cette âme qui a ouvert pour ainsi dire ces écluses divines par la foi en l’Esprit Saint » (Au souffle de l’Esprit, pp. 260‐276).
L’ « eau vive » c’est le Christ, c’est l’Esprit-Saint qui est « le don » du Fils et du Père. Aujourd’hui, comme toujours, « l’eau vive » continue à couler et à circuler dans le monde grâce aux témoins vivants du Christ, grâce aux Saints et aux Saintes, grâce au bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. L’ « eau vive » – et c’est la grâce que nous demandons dans cette Eucharistie – peut continuer à se rependre à travers chacun de nous : pour la gloire de Dieu, qui marche ensemble avec la gloire et la joie de ses créatures. Amen