Assemblée Plénaire des Évêques Catholiques du Canada

  • Posted by Chirayil Thomas
  • On septembre 15, 2014
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Allocution du Nonce Apostolique, Mgr Luigi Bonazzi
Beaupré, 15 septembre 2014

 

Éminences, Excellences,
Chers confrères dans l’épiscopat,

Sept mois après mon arrivée au Canada, en ce vaste territoire qui s’étend d’un océan à l’autre, a mari usque ad mare, après un premier contact avec vos Assemblées Épiscopales Régionales, après avoir visité différents diocèses – permettez-moi de mentionner Whitehorse, peut-être le plus éloigné – j’ai aujourd’hui la joie et la grâce de vous rencontrer tous, vous les Pasteurs de l’Eglise du Seigneur qui est au Canada, en ce début de l’Assemblée plénière de votre Conférence Épiscopale.

Je trouve particulièrement significatifs le lieu et le moment où se déroule notre rencontre: ici, en l’archidiocèse de Québec, en cette « Église mère » d’où est partie l’évangélisation du Canada il y a 350 ans ; en ce moment même où, par le pape François, le Saint-Esprit appelle l’Eglise à une évangélisation renouvelée. C’est réellement un moment favorable, un temps de grâce à accueillir ! (Cfr. 2 Cor 6,1-2). Merci, Seigneur, pour ce don! Merci sincère à vous, chers frères évêques du Canada, pour votre accueil chaleureux. Cela me rappelle les paroles de Paul: «Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres» (Rm 12, 10).

Pour connaître et se connaître, nous le savons, il faut sortir de sa propre maison, de soi-même, se mettre en marche avec confiance et estime vers la maison de l’autre. À cet égard, permettez-moi de vous assurer de mon profond désir et, dès à présent, de ma disponibilité reconnaissante pour visiter vos maisons, vos personnes, vos diocèses, dans la mesure où jugerez de quelque utilité une visite du Nonce apostolique. Ce qui m’encourage à vous exprimer cette disponibilité, c’est – je vous le dis avec joie – le Pape François qui vous regarde, vous les évêques du Canada, avec haute considération et estime. L’an dernier, trois mois après son élection à la Chaire de Pierre, il a voulu rencontrer les Nonces Apostoliques. Soulignant qu’il exprimait « non pas des mots formels» mais des choses qui « lui tenaient à cœur », le pape François nous a dit: « Votre travail est plus qu’important, c’est le travail de faire l’Église, de construire l’Église, entre les Églises particulières et l’Église universelle, entre les Évêques et l’Évêque de Rome. Vous n’êtes pas des intermédiaires, vous êtes plutôt des médiateurs, qui avec la médiation faites la communion ». C’est précisément le service quotidien que je voudrais offrir, en m’appuyant sur la grâce de Dieu, et assuré de pouvoir compter aussi sur votre aide.

L’Église au Canada. Vous en êtes leurs pasteurs. Vous la connaissez mieux que moi. Vous la connaissez et vous l’aimez. Les informations que j’ai reçues et les avis autorisés que j’ai entendus aussi de vous, amènent à constater, après ces dernières décennies de sécularisation progressive, de nouveaux problèmes et de grands défis. Pensons, par exemple, à la vie consacrée qui, comme don de l’Esprit Saint, appartient intimement à la vie, à la sainteté et à la mission de l’Eglise (vf. VC, 3). « Que serait le monde s’il n’y avait pas les religieux? » disait sainte Thérèse d’Avila (cf. CV 105). C’est une pensée que je partage profondément et que je rappelle, chaque fois que je le peux. Comme on le sait, au début des années 60 l’Église au Canada pouvait compter sur plus de 60.000 religieuses et religieux. Aujourd’hui, ils sont un peu plus de 15 000, et leur moyenne d’âge est de 80 ans.

Voilà un des problèmes et un des grands défis. Dans ce contexte, combien providentielle est l’Année de la Vie Consacrée, que le Pape François inaugurera le 30 novembre prochain. Éclaire-nous, Seigneur! Aide-nous, aide l’Église au Canada à vivre ce temps de grâce avec abondance de fruits. Vous connaissez d’autres secteurs qui sont source d’inquiétude et de souffrance: la pénurie de vocations sacerdotales, le vieillissement du clergé, l’affaiblissement de la foi …

Le « regard sociologique », statistique, semble tracer un « portrait préoccupant». Nous ne pouvons certainement pas nous fermer les yeux. Mais surtout il faut les tenir ouvertes sur le «regard théologique», celui qui nous amène à regarder l’Église comme le Saint-Esprit la regarde. Comment Saint-Esprit voit-il l’Église aujourd’hui? Que dit-il à l’Église?

Il faut travailler dur chaque jour pour trouver des réponses à ces questions fondamentales. Mais entretemps, au moyen de cet instrument – Pierre, et les Évêques de Rome ses successeurs – donné à l’Eglise pour “confirmer dans la foi” (cf. Lc 22:32), le Saint-Esprit nous a déjà donné quelques perspectives fondamentales. Elles peuvent et doivent nous encourager, nous inspirer et nous faire travailler avec confiance. – Dans ce que je plais à considérer comme son «testament spirituel» remis à l’Église au seuil du troisième millénaire – je me réfère à la Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte – saint Jean-Paul II a vu le chemin de l’Église dans le cadre de la « pêche miraculeuse » (cf. Lc 5 1 et suivants). Dans sa navigation sur la mer de l’histoire, ici calme, là agitée, là encore houleuse, la «barque» de l’Église dispose d’une «trousse d’urgence» à utiliser en cas de nécessité. Dans cette «trousse d’urgence», il y a l’invitation à ne pas craindre de prendre le large de nouveau et toujours: « Duc in altum». Il y aura une « pêche miraculeuse » (NMI, 1). Avec l’icône de la pêche miraculeuse, saint Jean-Paul II nous exhorte tous – pèlerins du troisième millénaire – à nourrir une espérance toujours renouvelée, en nous assurant que le Seigneur nous appelle à une expérience inépuisable de la grâce. Il nous invite fortement à regarder plus loin : ce n’est pas le moment des bilans mais d’une attention plus profonde à la Parole et à la promesse de Dieu. C’est le temps d’écouter ce que le Seigneur dit à notre Eglise, c’est le temps de faire confiance et de lancer les filets au large. Par conséquent: est-ce un tableau préoccupant que nous voyons devant nous? Oui, il l’est ! Des jours, des mois, des années sans résultats apparents? Aussi ! Une situation d’Église qui semble s’éteindre? Également. Mais tout cela est accompagné par la certitude – si nous faisons confiance à la Parole de Christ et que nous jetons les filets – qu’il y a une pêche miraculeuse qui s’annonce, la naissance ou la renaissance d’une Eglise plus évangélique.

En parfaite harmonie avec saint Jean-Paul II, le pape François – don de la foi du pape Benoît XVI, fait à l’Eglise en l’Année de la Foi – ne se demande pas si le temps est bon, si les prévisions sont favorables, si les filets sont bien préparés: il invite l’Église à sortir, à «aller dehors». « L’Eglise en sortie » est, au fond, le thème fondamental de l’Exhortation Apostolique du Pape François Evangelii Gaudium. L’Église en sortie est l’Église qui ne se regarde pas elle-même et ne vit pas pour elle-même. « Nous sommes tous appelés à cette nouvelle ‘sortie’ missionnaire » (20). « L’Eglise ‘en sortie’ est la communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui célèbrent » (24). Ce sont des mots qui font spontanément surgir devant nos yeux les images du Pape François au milieu du peuple, sans barrières, en immersion totale, icône vivante de comment il voudrait et comment nous voudrions l’Église. «En sortie» ne signifie pas, par conséquent, ouvrir les portes pour laisser les gens entrer ans l’Église ; cela signifie
surtout faire sortir le Christ dans le monde et – selon la vocation missionnaire du chrétien – le porter à ceux qui ne le connaissent pas. « Ne nous laissons pas voler pas l’enthousiasme missionnaire !» (80). « Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation !» (83). « Ne nous laissons pas voler la force missionnaire !» (109). D’où l’appel, ou mieux le «rêve», comme l’a défini le Pape François, de la «transformation missionnaire de l’Eglise» (EG, chapitre I).

– Mais on ne peut avoir une véritable «Église en sortie » sinon à partir d’une solide « Église en entrée »: une Eglise qui a des racines profondes en Dieu, dans le mystère de la Trinité et de la Rédemption. Tout le chapitre V de Evangelii Gaudium insiste sur ce point fondamental. « Jésus veut des évangélisateurs qui annoncent la Bonne Nouvelle, pas seulement avec des paroles, mais surtout avec leur vie transfigurée par la présence de Dieu» (259). « Sans des moments prolongés d’adoration, de rencontre priante avec la Parole, de dialogue sincère avec le Seigneur, les tâches se vident facilement de sens, nous nous affaiblissons à cause de la fatigue et des difficultés, et la ferveur s’éteint » (262).

Il faut donc d’abord prier et ensuite annoncer. Le Pape François insiste fortement sur cette hiérarchie des valeurs: la première tâche de l’apôtre est de prier, puis annoncer. «Lorsque nous pensons aux successeurs des apôtres, aux évêques, y compris au Pape car lui aussi est un évêque, nous devons nous demander si ce successeur des apôtres, en premier lieu, prie et ensuite s’il annonce l’Évangile : c’est cela être apôtre et c’est pour cette raison que l’Église est apostolique» (Audience générale 16 octobre 2013). Cette hiérarchie des priorités me rappelle cette sage règle de la vie pastorale qui dit: « Ce que le Christ fait en moi est plus important que ce que je fais moi-même. » – La profondeur de la «dimension contemplative» contribuera également à donner de la profondeur à notre «dimension opérationnelle», à l’apostolat.

Qu’est-ce qui donne de la profondeur à notre travail pastoral? Nous savons tous que la perception de l’espace – celle qu’on appelle techniquement la « vision stéréoscopique », à la perception non seulement de la longueur et de la hauteur mais aussi de la profondeur – découle de la synergie de nos deux yeux, dont chacun a une vision légèrement différente de l’autre. Avec un seul œil, nous pouvons voir, mais nous ne pouvons pas percevoir la profondeur de l’espace. Celle-ci provient de la combinaison des deux visions différentes de nos yeux. En d’autres termes, la diversité des deux images est essentielle pour la profondeur. Laissons maintenant cette métaphore : c’est la communion, c’est l’engagement constant à réaliser l’unité entre nous – qui est toujours l’unité des différences – qui assurent la «profondeur» à notre action pastorale. Nous avons besoin de l’autre, nous avons besoin des yeux des autres ; si je regarde les choses à partir de mon œil seul, j’ai une vision partielle. D’où la valeur qui a la Conférence épiscopale, la collégialité épiscopale : elles nous permettent de connaître « l’œil » de nos confrères évêques. D’où, aussi, la valeur du Conseil pour les affaires économiques, du Conseil presbytéral, du Conseil pastoral, des divers organismes de communion : ce sont des lieux qui permettent d’élargir mon point de vue, de l’enrichir de «l’œil» des prêtres, des laïcs … Bien sûr, il n’est pas facile d’harmoniser les regards, il est fatigant de mettre ensemble des visions différentes. Mais tout seul on ne va pas loin.

Tout cela nous stimule à vivre et apprécier cette autre règle fondamentale de vie pastorale qui dit: «Agir en unité est plus important qu’un agir, si parfait soit-il, dans l’isolement: la collaboration est donc plus importante qu’un travail en solitaire; la communion est plus importante que l’action ». «Le diocèse marche avec les pieds des prêtres», me disait un évêque brésilien que j’ai rencontré pendant les vacances. Il m’a raconté comment, disposant de trois jours de congé, il s’était arrangé pour visiter trois de ses prêtres, dans trois paroisses différentes. Avec des grands fruits pour les trois prêtres et pour lui-même. Je vous laisse développer les nombreuses implications pastorales qui découlent de la volonté de promouvoir une évangélisation qui ait de la profondeur, c’est-à- dire une évangélisation en communion.

Notre consolation est que Dieu nous précède toujours: «C’est notre grand réconfort – ce sont des paroles du pape Benoît XVI que j’aime répéter – Dieu nous précède. Il a déjà tout fait. Il nous a donné la paix, le pardon et l’amour » (Lectio Brevis de l’heure de Tierce, le 3 octobre 2005). La résurrection du Christ est déjà semée dans les vastes champs du Canada ! Deux nouvelles étoiles qui brillent dans le firmament de l’Eglise au Canada et qui l’illuminent, nous le rappellent et en témoignent : sainte Marie de l’Incarnation et saint François de Laval. Précisément en nous invitant à regarder au Christ ressuscité le Pape François conclut Evangelii Gaudium: « C’est le Ressuscité qui nous dit, avec une force qui nous remplit d’une immense confiance et d’une espérance très ferme: ‘Voici, je fais l’univers nouveau’ (Ap 21,5) ». Le Pape poursuit en nous invitant à avancer avec confiance vers cette promesse, nous confiant à Marie, Étoile de la nouvelle évangélisation, la priant ainsi:

 

Vierge et Mère Marie…
aide-nous à dire notre “oui”
dans l’urgence, plus que jamais pressante,
de faire retentir la Bonne Nouvelle de Jésus.

Donne-nous la sainte audace de chercher de nouvelles voies
pour que parvienne à tous
le don de la beauté qui ne se ternit pas.

Étoile de la nouvelle évangélisation,
aide-nous à rayonner par le témoignage de la communion,
du service, de la foi ardente et généreuse,
de la justice et de l’amour pour les pauvres,
pour que la joie de l’Évangile
parvienne jusqu’aux confins de la terre
et qu’aucune périphérie ne soit privée de sa lumière.
Mère de l’Évangile vivant,
source de joie pour les petits,
prie pour nous.
Amen. Alléluia !