Homélie du Nonce Apostolique, Mgr Luigi Bonazzi
Dimanche de la Divine Miséricorde
Pacific Coliseum, Vancouver, le 27 Avril 2014

Chers frères et sœurs,

Je vous salue tous avec une grande joie. J’apporte et j’offre à chacun de vous la salutation et l’affection paternelle du Pape François. Dans la communion de la grande famille qu’est l’Eglise, le Pape François est spirituellement ici avec nous : il vous
remercie et il vous bénit.

Je remercie votre archevêque bien-aimé, S.E. Mgr Michael Miller, qui a voulu me faire un cadeau: celui d’être avec vous et de vivre avec vous le dimanche de la Divine Miséricorde, en ce jour où, à Rome, en présence d’une foule immense, le Pape François a proclamé Saints deux grands Papes: le Pape Jean XXIII et le Pape Jean-Paul II.

Je vous demande d’abord une faveur : celle de me pardonner mon mauvais anglais. Je compte beaucoup sur la générosité de votre écoute. Je sais, en effet, que l’attention et l’amour de ceux qui écoutent donnent de la beauté et de la saveur aux mots de l’orateur. Je vous invite tous à être protagonistes de ce moment : vous, avec l’amour qui écoute, moi, en vous donnant ces modestes paroles.

Une pensée du Pape Benoît XVI me permet de commencer mon discours. Dans son Encyclique consacrée à l’espérance, il a écrit: «La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin? Comment en trouvons-nous la route? La vie est comme un voyage sur la mer de l’histoire, souvent obscur et dans l’orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route. Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d’espérance. Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l’histoire»
(Spe Salvi, 49).

Chers frères et sœurs, Jésus-Christ, le Crucifié-ressuscité, le Soleil par excellence, nous accompagne dans cette célébration liturgique. Laissons le Seigneur ressuscité nous prendre par la main. Il est parmi nous, comme il se tint parmi ses disciples le soir de Pâques, alors que, pleins de crainte et portes closes, ils étaient au Cénacle. Nous sommes aujourd’hui ce Cénacle. Jésus lui-même vient parmi nous et dit: « La paix soit avec vous».

Demandons-nous: qui étaient les personnes à qui Jésus a dit: «La paix soit avec vous»? Nous le savons : c’étaient ses disciples, les Apôtres qui, au moment de l’épreuve, quand il a été arrêté, avaient fui et l’avaient abandonné; quelqu’un arriva même à le renier.

Nous ne sommes pas différents de ces disciples. Nous aussi – si nous sommes honnêtes – nous devons reconnaître avoir renié et trahi l’amour de Dieu. Nous le faisons toutes ces fois où, dans nos choix, nous lui disons: «Tu ne m’intéresses pas. Je n’ai pas besoin de ton amour, ni de tes commandements. Je préfère faire ce qui me plaît».

Qu’arrive-t-il lorsque Jésus apparaît aux disciples et leur montre ses mains et son côté transpercés par les blessures de la crucifixion? C’est un moment de grande émotion. L’Evangile dit: «Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur». On ne nous donne pas la raison de cette joie, mais elle est facile à deviner. On peut penser que chaque disciple, chacun à sa manière, aura pensé: «Je l’ai abandonné et il vient me chercher ; j’ai trahi l’amitié de mon Maître, et il revient m’appeler ami. Je pensais que tout était fini et il me dit que tout peut recommencer. Nous nous étions séparés et éloignés, et il nous unit à lui et entre nous». Pour les disciples c’est une nouvelle expérience de cet amour «riche en miséricorde» (Ep 2:04) que Jésus avait enseigné – pensons à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15:11 ss) – et surtout qu’il avait illustré
par sa vie, en prenant soin des pauvres, des malades, des pécheurs. Les disciples découvrent que Jésus leur offre la possibilité de recommencer après la chute, qu’il les appelle à un nouveau départ.

«La paix soit avec vous», dit à nouveau Jésus qui poursuit: «Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie». Comme s’il voulait dire: «Je vous ai montré l’amour, le pardon et la miséricorde du Père, soyez maintenant vous aussi les témoins de l’amour et de la miséricorde du Père! Allez dire qu’il n’y a pas des larmes qui ne puissent être séchées, pas de péché qui ne puisse être pardonné…».

«Recevez l’Esprit Saint». Tout simplement parce que par notre propre force, nous ne pouvons pas pardonner, Jésus nous donne le Saint-Esprit, ce même Esprit qui l’avait fait s’exclamer sur la croix: «Père, pardonne-les car ils ne savent ce qu’ils font» (Luc 23:34 ). Nous le savons : c’est au jour du baptême que chacun de nous a reçu le Saint-Esprit. Ainsi nous a été donné un amour qui nous rend capables d’aimer comme Jésus aime, et donc de pardonner aussi. Cet amour, cette capacité de pardonner est en nous, en chacun de nous. Tirons-le dehors. Laissons jaillir de nous cet amour. Vivons-le. Le chrétien est une personne pardonnée et qui pardonne ; il est un enfant de Dieu qui, en recevant la miséricorde de Dieu, devient miséricordieux.

Après nous avoir rappelé que – dans le voyage de notre vie – Jésus est la vraie lumière, le Pape Benoît XVI poursuit: «Mais pour arriver jusqu’à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches – de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée» Qui sont-elles ces “lumières proches” ? Nous le savons. C’est la Vierge Marie qu’avec une profonde confiance nous appelons “Etoile de la Mer”, puis les Saints, les amis de Dieu, qui sont nos amis, nos trésors. On peut appliquer en particulier à la Vierge Marie et aux saints le dicton: “Qui trouve un ami, trouve un trésor”.

Le Saint Pape Jean XXIII et le Saint Pape Jean-Paul II sont deux nouveaux trésors, deux grands amis que l’Eglise nous donne. Le Pape Jean-Paul II a été un grand apôtre de la miséricorde. Il l’a proclamée par son enseignement, mais surtout il en a témoigné par sa vie. Permettez-moi de vous rappeler ce que je pense en être le plus bel exemple: sa rencontre avec Ali Agca, le jeune turc qui avait tenté de l’assassiner. C’était le 27 décembre 1983. Deux ans après l’attentat du 13 mai 1981. Pape Jean-Paul II est allé rendre visite à son agresseur dans la prison romaine de Rebibbia. Ce fut une rencontre personnelle de 15 minutes. Inclinés l’un vers l’autre – celui qui avait utilisé la violence et celui qui l’avait subie – ils se sont
regardés avec amour et se sont écoutés. Une fois la rencontre terminée, le Pape a rendu visite à 200 femmes détenues dans la même prison, et leur a confié ce qu’il avait vécu dans la rencontre avec Ali Agca. Il a dit : «Nous nous sommes rencontrés comme des hommes et des frères, parce que nous sommes tous frères et tous les événements de notre vie doivent confirmer cette fraternité».

J’ai toujours été frappé par cet épisode et ce témoignage. Jean-Paul II nous enseigne que toutes les expériences de la vie, même les plus douloureuses, conduisent à la fraternité. Il n’est pas vrai – nous dit le Pape maintenant Saint – que la discorde et la haine peuvent générer seulement d’autres discordes et la haine. Non! Le mal qui habite malheureusement dans le cœur humain peut être arrêté. Il suffit de laisser œuvrer en nous la miséricorde, le don du Seigneur crucifié et ressuscité, qui nous rend capables de vaincre le mal par le bien, de transformer l’inimitié en amitié, et donc de faire grandir la fraternité au sein de la famille humaine.

De façon particulière, Jean-Paul II nous a enseigné que le pardon et la miséricorde surmontent le stade des intentions pieuses et des bons sentiments quand ils promeuvent la fraternité, c’est-à-dire quand ils nous amènent à nous voir et à nous traiter comme Dieu nous voit et nous traite: comme ses enfants. Il faut ainsi surmonter sans cesse ces obstacles sentimentaux, de tempérament, culturels, sociaux que les événements de l’histoire personnelle ou collective peuvent bâtir. «Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme –rappelait l’apôtre Paul aux fidèles
galates – car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus» (Gal 3.28). Les paroles de Paul, appliquées à l’histoire du Canada, deviennent: il n’y a plus ni Canadien, ni Philippin, ni Chinois, ni Polonais, ni Mexicain… ou plutôt, il y a des Canadiens, des Philippins, des Chinois, des Mexicains – parce que le Seigneur respecte et promeut notre histoire et notre individualité – mais surtout, nous sommes tous frères et sœurs en Jésus Christ.

Un petit mot maintenant sur Jean XXIII, lui aussi saint à partir d’aujourd’hui. Il est né dans la ville où je suis né moi aussi : Bergame. C’est aussi pour cette raison que votre Archevêque a bien voulu me faire l’honneur de vous adresser la parole. Le Pape Jean XXIII. Qu’on peut dire de lui?

Celui qui a été appelé le “pape de la bonté” possédait un secret; il vivait une résolution prise alors qu’il était jeune prêtre: transformer en occasion de bien, grâce à la puissance de la prière et de la charité, chaque situation de la vie. Il s’était engagé à conserver en lui toute amertume, à éviter la colère et les défoulements personnels, à avoir envers tous une patience joyeuse et souriante. Il s’était approprié la parole évangélique : “Jésus doux et humble de cœur (Mt 11,29), rendez mon cœur comme le vôtre”. Lui qui appartenait à une famille de paysans humbles et modestes, il savait que c’est aux personnes douces et bonnes que Jésus-Christ a promis de « posséder la terre » (Mt 5,5). Oui, à la fin, ce n’est ni la violence ni l’arrogance, mais la bonté, l’esprit de bienveillance, la douceur et la paix qui conquièrent les cœurs et demeurent comme des bénédictions. De toutes ces choses le Saint Pape Jean XXIII est un exemple vivant.

Seigneur, aide-nous à être des instruments de paix et de miséricorde. Aide-nous à donner et à recevoir le pardon. Aide-nous à voir dans les autres non pas des personnes étrangères et encore moins des adversaires, mais des frères, peut-être différents, mais toujours frères, et à travailler ensemble pour construire la civilisation de l’amour. Alors nous nous réjouirons. Alors nous tous – comme les disciples en voyant le Seigneur – nous serons dans la joie. La vraie joie. Amen.