Assemblée Générale de la Conférence Religieuse Canadienne

  • Posted by Chirayil Thomas
  • On mai 30, 2016
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Assemblée Générale de la Conférence Religieuse Canadienne

Intervention de S.E. le Nonce Apostolique, Mgr Luigi Bonazzi

Montréal, le 27 mai 2016

 

Très Chers consacré-es,

Votre Assemblée Générale, qui vous rassemble tous les deux ans, est pour moi un rendez-vous attendu ; un rendez-vous désiré et important. Elle me permet, en effet, de rencontrer et de rejoindre, à travers vous, tous les consacré-es du Canada ; de rejoindre tous vos consœurs et confrères qui enrichissez l’Église du Christ qui est au Canada avec vos différents charismes, et par vos services et vos ministères.

Je vous salue avec affection et je remercie le Seigneur pour ce que vous êtes et vous faites dans l’Église et pour le monde.

En vous regardant aujourd’hui, j’ai d’emblée le désir de partager avec vous deux « préférences » personnelles – s’il on peut dire – du Pape François.

La première préférence est pour les sœurs, les femmes consacrées : “Que serait l’Église s’il n’y avait pas les sœurs ?”[1].

“Qu’est-ce qui manquerait à l’Église s’il n’y avait plus les religieuses? Il manquerait la Vierge Marie à la Pentecôte ! Il n’y a pas d’Église sans la Vierge Marie ! Il n’y a pas de Pentecôte sans Marie !”[2].

La deuxième préférence est pour les personnes consacrées avancées en âge : “ Je vous dis une chose. J’aime beaucoup rencontrer ces religieuses ou ces religieux âgés, mais avec des yeux brillants, car le feu de la vie spirituelle brûle en eux. Il ne s’est pas éteint… ce feu ne s’est pas éteint ! Allez de l’avant aujourd’hui, chaque jour, et continuez à travailler et à envisager le lendemain avec espérance, en demandant toujours au Seigneur qu’il nous envoie de nouvelles vocations, ainsi notre œuvre de consécration pourra continuer. Et … la mémoire ! N’oubliez pas votre premier appel ! Il y a le travail de chaque jour mais aussi l’espérance d’aller de l’avant de bien semer pour l’avenir Que ceux qui nous suivront puissent recevoir l’héritage que nous leur laisserons”[3].

En me préparant pour cette rencontre, je me suis demandé : “Qu’est-ce que je pourrais dire aux consacré-es du Canada ?” À dire vrai, j’ai déjà pu partager certaines choses avec vous au cours de l’Année de la Vie Consacrée et à l’occasion de visites et de rencontres. Je pense, par exemple, à la rencontre des “ Benjamins de la vie consacrés”, au mois de novembre dernier au Cap-de-la-Madeleine, et aux visites – que j’aimerais bien faire plus assidûment – à vos maisons et à vos communautés.

En fin de compte, puisque je ne me représente pas moi-même mais que je représente, bien qu’avec toutes mes limites, la personne et le ministère pastoral du Pape, du Successeur de Pierre, je me suis dit que la chose la plus facile pour moi et la plus utile pour vous serait de vous rappeler les ‘trois mots’ que Pape François vous a légués lors de la conclusion de l’Année de la Vie Consacrée. Je vais les accompagner de quelques brèves réflexions personnelles.

Le premier mot est celui de prophétie. Vous savez bien que l’image préférée du Pape François pour définir l’identité d’une personne consacrée est celle du prophète : “Les religieux sont prophètes”[4]. “Mais quelle prophétie attendent de vous l’Église et le monde ? Vous êtes avant tout appelés à proclamer – à travers votre vie, avant même qu’à travers les paroles – la réalité de Dieu : dire Dieu. Si Dieu est parfois refusé, marginalisé ou ignoré, nous devons nous demander si peut-être nous n’avons pas été suffisamment transparents à son Visage, parce que nous avons plutôt montré notre visage. Le visage de Dieu est celui d’un Père qui est « tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » (Ps 103, 8). Pour le faire connaître, il faut avoir un rapport personnel avec Lui ; et pour cela, il faut la capacité de l’adorer, de cultiver jour après jour l’amitié avec Lui, à travers le dialogue avec Lui en cœur à cœur dans la prière, en particulier dans l’adoration silencieuse”[5].

Je perçois dans ces mots l’écho fidèle d’un des points fondamentaux du ‘programme pastoral’ que Saint Jean Paul II a offert à l’Église lorsqu’elle entrait dans le troisième millénaire : « Non, ce n’est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu’elle nous inspire : Je suis avec vous ! Il ne s’agit pas alors d’inventer un ‘nouveau programme’. Le programme existe déjà : c’est celui de toujours, tiré de l’Évangile et de la Tradition vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ lui-même, qu’il faut connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui l’histoire, jusqu’à son achèvement dans la Jérusalem céleste »[6].

Chers consacré-es : vous ‘direz’ Dieu et vous le ‘ferez connaître’ d’autant mieux que vous vivrez fidèlement, que vous garderez, approfondirez, et développerez votre “charisme”, c’est-à-dire cette “expérience de l’Esprit” particulière que vos Fondatrices et Fondateurs vous ont transmise (cfr. Mutuae Relationes, 11). C’est précisément à travers les “charismes” que l’Esprit Saint vivifie l’Église et transforme l’humanité. Vos fondateurs et fondatrices, les Saintes et les Saints, sont les vrais artisans du progrès humain authentique. «Souviens-toi, me disait mon directeur spirituel pendant mes années au Séminaire, que seuls les saints bâtissent l’Église et humanisent le monde». Voilà ce que vous pouvez et devez être vous aussi !

“Les gens semblent vivre en ignorant les réalités surnaturelles, indifférents à la question du salut – enseignait le Bienheureux Ildefonse Schuster, bénédictin, un grand archevêque de Milan (1929-1954) – Mais si un saint authentique, vivant ou mort, passe, tout le monde accoure sur son passage”.

Nous pouvons nous poser cette question : si aujourd’hui vos Fondatrices ou Fondateurs revenaient et s’ils visitaient vos communautés, est-ce qu’ils s’y reconnaitraient ? Est-ce qu’ils pourraient se réjouir en voyant que l’œuvre qu’ils ont commencé s’est développée et que vous êtes en train de faire des « œuvres plus grandes encore »? (cf. Jn 14,12). Chers consacrés-es, êtes-vous conscients de l’“énergie spirituelle” que vos Fondateurs et Fondatrices ont mise entre vos mains ? Une énergie capable d’allumer dans beaucoup de cœurs la lumière de la foi, d’alimenter la ferveur de la charité, et de soutenir la force de l’espérance ?

Le deuxième mot que Pape François vous a livré est celui de proximité. « En Jésus, Dieu s’est fait proche de tout homme et de toute femme : il a partagé la joie des époux à Cana de Galilée et l’angoisse de la veuve de Naïm ; il est entré dans la maison de Jaïre frappée par la mort et dans la maison de Béthanie parfumée de nard ; il s’est chargé des maladies et des souffrances, jusqu’à donner sa vie pour le rachat de tous. Suivre le Christ signifie aller là où il est allé ; se charger, en bon Samaritain, du blessé que nous rencontrons le long du chemin ; aller chercher la brebis égarée. Être, comme Jésus, proches des gens ; partager leurs joies et leurs douleurs ; montrer, avec notre amour, le visage paternel de Dieu et la caresse maternelle de l’Église. Que jamais personne ne vous sente éloignés, détachés, fermés et donc stériles. Chacun de vous est appelé à servir les frères, en suivant son propre charisme : certains par la prière, certains par la catéchèse, d’autres par l’enseignement, ou bien par le soin des malades ou des pauvres, ou encore en annonçant l’Évangile, ou en accomplissant les diverses œuvres de miséricorde. L’important est de ne pas vivre pour soi, de même que Jésus n’a pas vécu pour lui-même, mais pour le Père et pour nous »[7].

Deux questions.

La première : “Quel est le premier prochain d’un consacrée ou d’une consacrée ?” Vous connaissez la réponse : c’est le frère ou la sœur de communauté, ce sont eux votre premier prochain. Pour cette raison, permettez-moi de vous appeler à rivaliser dans l’amour, à regarder votre frère ou votre sœur de communauté comme une personne qui vous appartient : je suis en cette sœur, cette sœur est en moi ; ce frère vit en moi, je vis dans ce frère (cf. Rom 12,10)[8].  En vivant ‘la proximité’, vous ferez place à la présence de Dieu parmi vous, et vous serez vraiment prophètes.

Ma deuxième question : est-ce que nous sommes-nous proches des gens, spirituellement et matériellement ? Est-ce que notre vie, est-ce que nos maisons, sont proches du niveau de vie des gens ou bien est-ce que nous nous en sommes éloignés ? Alors, aidons-nous à transformer nos maisons, nos Communautés, pour vivre une vraie proximité. Et vérifions par la suite où nous en sommes.

Nous arrivons maintenant au troisième mot du Pape François, qui s’harmonise bien avec le thème de votre Assemblée : espérance. « En témoignant de Dieu et de son amour miséricordieux, avec la grâce du Christ, vous pouvez diffuser l’espérance dans notre humanité marquée par plusieurs motifs de préoccupation et de crainte et parfois tentée par le découragement. Vous pouvez faire entendre la force rénovatrice des béatitudes, de l’honnêteté, de la compassion ; la valeur de la bonté, de la vie simple, essentielle, pleine de signification. Et vous pouvez alimenter l’espérance également dans l’Église. Je pense, par exemple, au dialogue œcuménique. La rencontre, il y a un an, entre les personnes consacrées de diverses confessions chrétiennes a été une belle nouveauté, qui mérite d’être poursuivie. Le témoignage charismatique et prophétique de la vie des personnes consacrées, dans la variété de ses formes, peut aider à nous reconnaître tous plus unis et à favoriser la pleine communion »[9].

Bien sûr, une forte tentation contre l’espérance pourrait surgir – et parfois surgit – du manque de vocations, qui constitue un « problème d’importance vitale et fondamentale pour la communauté des croyants et pour toute l’humanité»[10]. Une communauté sans vocation est en effet «comme une famille sans enfants»[11]. Par conséquence, «on doit considérer comme pauvre une communauté ecclésiale privée du témoignage des personnes consacrées»[12].

Ce qui revient ici, c’est la question toujours douloureuse : “Pourquoi n’y a-t-il que peu de vocations ?”. Nous pourrions bien sûr répondre : parce qu’encore aujourd’hui, et même aujourd’hui plus que jamais, il y a celui qui vient de se marier, celui qui a acheté un champ, et celui qui doit essayer une paire de bœufs (cf. Luc 14,18-20) ; en d’autres termes le peu de vocations est dû au refus ou aux excuses polies que donne celui ou celle qui est effectivement appelé. C’est vrai ! Mais n’est-ce pas également vrai que les vocations diminuent parce que l’appel de notre côté est mou, faible ? On ne peut pas dire simplement que les jeunes manquent de générosité. Il faut aussi ajouter que notre vie – religieuse ou sacerdotale – n’est peut-être pas vécue avec la joie, l’enthousiasme, la plénitude de l’amour vis-à-vis de la croix, avec la totalité du don de soi, avec la luminosité de l’exemple, avec la force de l’unité et de l’amour, et avec la certitude que vivant au sein de la communauté on se sanctifie (et donc on s’humanise) vraiment.

À propos de l’espérance et sur ce thème des vocations, permettez-moi de reprendre ce que je vous ai écrit au cours de l’Année de la Vie Consacrée.

« Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer … Il leur dit : “Venez à ma suite… » (Mc 1,16-17). C’est Jésus qui appelle. Le Seigneur est l’auteur de la vocation. Là où Lui est présent, là résonne l’appel. Donc, si personne ne vient, on ne peut que se demander, et même on doit se demander : “Mais est-ce qu’Il est là ?” Pour le dire autrement, on doit se demander si Jésus est bien présent en nous et dans nos communautés, parce que nous savons que là où le Seigneur est présent, il travaille, il appelle. C’est vrai que les problèmes ne manquent pas ; il est aussi possible que nous traversions un moment d’épreuve… mais si personne ne vient, cela veut sans doute dire qu’il y a quelque chose à regarder de notre côté. Parce que si Jésus est là, il fait bouger les choses. Jésus en chacun de nous, Jésus parmi nous c’est-à-dire dans la communauté : voilà le vrai et le seul filet qui rassemble les vocations.

C’est pour cela que l’Église vous demande à vous les personnes de vie consacrée d’être “expertes en communion” (Vita Consecrata, 46). Il s’agit de “faire grandir la spiritualité de la communion” avant tout “dans” vos Communautés, puis “entre” les différentes Familles Religieuses, puis ensuite “vers” toute la Fraternité ecclésiale et toute l’humanité. Alors, avec votre charité unanime, vous unirez votre voix à l’invocation chorale et confiante de l’Église qui invoque : Maranà-tha, Viens Seigneur Jésus (cf. Ap 22,20). Vous attirerez de nouvelles vocations, et, comme les disciples sur le lac, vous aurez “cent cinquante-trois gros poissons” (Jn. 21,11).

C’est la communion, toujours mieux vécue et constamment renouvelée dans vos communautés, qui est à la fois la source et l’espérance sûre de nouvelles vocations. La prière l’est aussi ; elle l’est même d’abord. Une prière insistante et confiante comme celle d’Anne, la mère de Samuel, qui de tout cœur criait à Dieu : “ Je veux un enfant !” (cf. 1Sam 1,9-18). « Je vous le demande : devant cette baisse des vocations, est-ce que votre cœur prie avec cette intensité ? Êtes-vous en train de crier au Seigneur : ‘Notre Congrégation a besoin de fils, notre Congrégation a besoin de filles…’ ? Le Seigneur qui a été si généreux ne manquera pas à sa promesse. Mais nous devons le demander. Nous devons frapper à la porte de son cœur »[13].

Je vais terminer encore avec des paroles de Pape François ; et je voudrais que chacune et chacun de vous les accueille comme des paroles qui vous sont adressées personnellement : « Chers frères et sœurs, dans votre apostolat quotidien, ne vous laissez pas conditionner par l’âge ou par le nombre. Ce qui compte le plus, c’est la capacité de redire votre premier «oui» à l’appel de Jésus ; de redire oui à son appel qui continue à se faire entendre, de façon toujours nouvelle, à chaque période de la vie. Son appel et notre réponse maintiennent vivante notre espérance. Prophétie, proximité, espérance. En vivant ainsi, vous aurez le cœur en joie, et c’est là le signe distinctif de ceux qui suivent Jésus et à plus forte raison des personnes consacrées. Et notre vie sera attirante pour de nombreux hommes et femmes, à la gloire de Dieu et pour la beauté de l’Épouse du Christ, de l’Église »[14].

Enfin, n’oubliez pas de transmettre les salutations, l’affection, l’estime et la gratitude de Pape François – et la mienne – à vos consœurs et à vos confrères. Merci!!

 

[1] Paroles prononcées par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016

[2] Discours du Saint Père François à l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG), 12 mai 2016

[3] Paroles prononcées par le Saint Père François à l’issue de la Célébration de clôture de l’Année de la Vie Consacrée sur le parvis de la Basilique du Vatican, 2 février 2016

[4] Entretien avec La Civiltà Cattolica, 19 septembre 2013

[5] Discours remis par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016

[6] Novo Millennio Ineunte, 29

[7] Discours remis par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016

[8] Novo Millennio Ineunte, 43

[9] Discours remis par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016

[10] Jean Paul II, Message pour la XXI Journée Mondiale des Vocations

[11] Jean Paul II, Message pour la XXIII Journée Mondiale des Vocations

[12] Jean Paul II, Message pour la XXIV Journée Mondiale des Vocations

[13] Paroles prononcées par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016

[14] Discours remis par le Saint Père François à la Rencontre avec les participants au Jubilé de la Vie Consacrée, 1 février 2016