Assemblée Générale de la Conférence Religieuse Canadienne

  • Posted by Chirayil Thomas
  • On juin 1, 2014
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Homélie du Nonce Apostolique, Mgr Luigi Bonazzi
Solennité de l’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ
Montréal, 1er juin 2014

SALUTATION INITIALE

Chères Religieuses et Chers Religieux,

Avec cette Eucharistie, nous voulons vivre le moment qui conclut l’Assemblée générale de la C.R.C. et – en même temps – le moment qui lui donne son commencement véritable. En effet, en nous communiquant son Esprit, l’Esprit-Saint, Jésus Eucharistie sème en nous la grâce qui, malgré nos pauvretés personnelles, nous rend capables de faire fleurir et fructifier ce que nous avons reçu en ces jours.

L’Ascension n’est pas la fête de l’adieu, du Seigneur qui nous laisse. Au contraire, elle est la fête de la présence, d’un nouveau commencement. Désormais, le Seigneur crucifié et ressuscité n’est plus lié à l’espace et au temps ; il est avec nous, toujours et partout. Il n’y a pas un instant, pas un lieu où il ne soit avec nous.

Chers religieux et religieuses, l’Ascension du Seigneur est particulièrement votre fête. En effet, la vie consacrée “représente continuellement dans l’Église cette forme de vie que le Fils de Dieu a prise en venant dans le monde ” (LG 44). Ainsi, si la vie consacrée prolonge en tout temps et en tout lieu l’exemple vivant de la vie du Christ, alors l’Ascension du Seigneur marque le début de votre vocation et de votre mission. C’est votre fête ; vivons-la avec cette foi.

HOMÉLIE

L’évènement que nous célébrons et que nous voulons faire entrer dans notre vie est décrit dans les Actes des Apôtres avec ces simples mots : “Tandis qu’ils le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux” (Act 1,9). Dans la lettre aux Éphésiens, saint Paul précise que, dans les hauteurs, le Père de la gloire “l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux, et l’a établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et domination… Il a tout mis sous ses pieds” (Ep1, 21-22). Dans l’Évangile de saint Matthieu, Jésus confirme son ‘investiture’ céleste, en déclarant : “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre” (Mt 28, 18).

Que veut nous dire cette fête de l’Ascension du Seigneur ? Elle ne veut pas dire que le Seigneur s’en est allé en un lieu distant des hommes et du monde. En nous enseignant le Notre Père qui est aux cieux, Jésus lui-même nous aide à comprendre qu’en retournant au ciel, il retourne auprès du Père. L’Ascension du Christ signifie qu’Il n’appartient plus à notre monde de corruption et de mort qui conditionne notre vie; elle signifie qu’Il appartient totalement à Dieu. Et puisque Dieu embrasse et soutient le cosmos tout entier, l’Ascension du Seigneur signifie que le Christ ne s’est pas éloigné de nous, mais que maintenant, grâce à son Être-avec-le-Père, il est proche de chacun de nous, pour toujours. Chacun peut le tutoyer ; chacun peut l’appeler. Le Seigneur se trouve toujours à ‘portée de voix’. Nous pouvons nous éloigner de Lui intérieurement ; nous pouvons vivre en lui tournant le dos. Mais Il nous attend toujours, il est toujours près de nous.

Il est non seulement avec nous, mais il s’en remet à nous, il confie à l’Église ses ‘pouvoirs’, qui sont de façon particulière sa Parole et les Sacrements; il dit à ses disciples, à chacun de nous: « Maintenant, faites ce que j’ai fait moi-même », il rappelle toujours : « Je suis avec vous ». Avec l’Ascension débute la mission de l’Église, appelée à être dans le Christ “sacrement, c’est-à- dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain” (LG 1). Dans la mission de l’Église, avec l’Église et par l’Église, débute également la mission de la Vie consacrée. La Vie consacrée en effet appartient ‘fermement’ (LG 44) à la vie et à la sainteté de l’Église. C’est tellement vrai que l’histoire démontre que lorsque la vie consacrée fleurit, alors l’Église fleurit et grandit aussi, tandis que lorsque la vie consacrée s’étiole, l’Église en souffre aussi. Et vice versa. Quel est le service, le témoignage que la Vie consacrée est appelée à donner à l’Église? Résumant en un seul mot l’histoire bi-millénaire de la Vie consacrée, le Pape François a affirmé avec conviction et détermination : “La vie consacrée est prophétie… les religieux et les religieuses sont prophètes… Ils doivent être des hommes et des femmes qui peuvent réveiller le monde ” (cfr. Échange du Pape François avec les Supérieurs généraux, 29 novembre 2013 ; entrevue à la Civiltà Cattolica, 19 septembre 2013).

Cette “vision” est partagée aussi par votre Conférence dans les termes suivants : “Au moyen d’activités diverses liées à la justice sociale, à la recherche et aux communications, la Conférence invite ses membres à lire les signes des temps, à répondre d’une manière prophétique aux enjeux contemporains qui concernent la vie religieuse, l’Église et la société”. Oui, le religieux est un ‘prophète’. Il faut comprendre et vivre ce titre non comme un “slogan” ou une théorie, ni non plus comme une ‘fonction ou un devoir’, mais comme une ‘don’ qui descend d’enhaut, un don mis avec confiance en nos mains par Celui qui est la source de tout don parfait (Jc 1, 17). Il faut recevoir et renouveler chaque jour ce ‘don’ d’être un consacré, une consacrée. Ce ‘don’ vous rend capables – par grâce – de faire des choses qui ont le goût et la valeur de Celui qui, parce qu’Il est en-haut, est profondément proche de tous et chacun.

Chers religieux et religieuses du Canada : à vous qui vivez le charisme de la vie consacrée dans ce grand pays, au nom du Pape François, je désire aujourd’hui vous ‘appeler’, vous inviter à vivre de façon particulière :

la prophétie de la primauté de Dieu ;
la prophétie de l’Église communion ;
la prophétie de l’option préférentielle pour les pauvres.

Prophétie de la primauté de Dieu. L’essentiel de la vie consacrée est quaerere Deum, chercher Dieu, vivre en Dieu. Il faut réaffirmer le primat de la contemplation sur l’action. Il faut – comme le disait le Pape François aux religieuses – “accomplir continuellement un « exode » de vous-mêmes pour centrer votre existence sur le Christ et sur son Évangile, sur la volonté de Dieu, en vous dépouillant de vos projets, pour pouvoir dire avec saint Paul : «Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20) » (aux Supérieures générales (U.I.S.G.) (8 mai 2013).

Le Pape François appelle cet ‘exode continuel’ : adorer, adoration. Il rappelle que ‘adorer’ ou, si vous voulez, ‘prier’ – qui est ‘être’ en Dieu – est le premier mouvement de l’Église qu’il invite à ‘sortir’ et à devenir missionnaire. Le Pape a utilisé cette formule incisive : “Prier est le premier travail de l’apôtre, et le second, c’est annoncer l’Évangile” (Audience générale du 16 octobre 2013). Donc être un avec le Christ (prier est précisément entrer en Dieu, se tenir en sa présence), puis évangéliser.

La primauté de Dieu dans une vie évangélique semble évidente dans la vie consacrée. Elle ne l’est absolument pas. L’embourgeoisement, le besoin d’un statut social, la recherche de rendement pour l’Institut et de l’autonomie personnelle ont – assez souvent – miné fortement la primauté de Dieu dans la vie religieuse. Sans ce primat, la vie religieuse n’a aucun sens. L’essence de la consécration réside précisément dans la relation à Dieu, dans la reconnaissance de Lui comme l’Unique et le Tout, dans l’accueil de son amour, dans le don total à Lui aimé plus que tout, comme le rappelle le Concile (cf Lumen gentium, 44), au point de pouvoir dire que les religieux et les religieuses ‘vivent pour Dieu seul’, « s’occupent seulement de Dieu » (Perfectae caritatis 5, 7).

Chers religieux et religieuses, je vous en prie: « Soyez du vin nouveau en des outres neuves. Investissez seulement sur les réalités qui comptent vraiment. Engendrez Dieu dans les communautés. De sorte qu’Il puisse parler. Et puis déplacez-vous ! Qui se place au centre ne peut trouver Dieu. Dieu seul doit être au Centre. Dieu est le centre”. Prophétie de “l’Église-Communion”. Il est bien connu de tous que l’ecclésiologie di communion représente «l’idée centrale e fondamentale dans les documents du Concile» (ChL n.19). L’Église se conçoit comme “la maison et l’école de la communion” (NMI n. 43).

La communion a une relation essentielle avec la dimension fondamentale de la vie consacrée : la recherche de Dieu et sa primauté. Le Dieu qui appelle et auquel se consacrent le religieux et la religieuse est le Dieu de Jésus-Christ, un Dieu-Amour, Relation, Trinité, qui engage dans sa dynamique même d’amour et d’unité. Comment appartenir à un Dieu communion si on ne partage pas sa communion et si on ne l’exprime pas dans le concret d’une vie d’unité ?

Avec votre vie de consacrés, vous devez ‘critiquer’, c’est-à-dire mettre en crise l’individualisme, qui est une des causes fondamentales des difficultés actuelles dans tous les secteurs de la vie sociale, et qui s’insinue aussi chez les religieux et les religieuses, enfants eux aussi du moment présent. Trop souvent le témoignage des consacrés se limite au seul témoignage personnel. Au contraire, le témoignage de la foi a toujours une dimension communautaire et publique. Je vous invite à vous demander : comment aménager la vie religieuse de sorte que les instituts religieux témoignent publiquement d’une authentique foi communautaire, d’assiduité dans la prière, dans l’écoute et l’annonce de la Parole de Dieu, dans la fraction du pain eucharistique, dans l’union fraternelle et le service des pauvres ? Alors vous serez “prophétie vivante” de l’Église-Communion, comme l’Église l’attend de vous : «L’Église confie aux communautés de vie consacrée le devoir particulier de développer la spiritualité de la communion d’abord à l’intérieur d’elles-mêmes, puis dans la communauté ecclésiale et au-delà de ses limites, en poursuivant constamment le dialogue de la charité, surtout là où le monde d’aujourd’hui est déchiré par la haine ethnique ou la folie homicide» (Vita consecrata, n. 51).

Prophétie de l’option préférentielle pour les pauvres. Saint Jean-Paul II nous a prévenus que : “en en restant aux paroles non équivoques de l’Évangile, dans la personne des pauvres il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l’Église une option préférentielle pour eux” (NMI, 49). Pour cette raison, pas moins que l’individualisme, il est aujourd’hui nécessaire de “mettre en crise” la société de consommation qui abandonne le pauvre et le faible à leur destinée et qui occulte le sens de la gratuité et de la primauté de l’«être» sur l’«avoir». Vous pouvez le faire en vivant la “prophétie” de l’Église des pauvres, par un style de vie vécu comme pauvres, avec les pauvres et pour les pauvres.

“Ah ! Comme je voudrais une Église pauvre pour les pauvres”, a dit le Pape François lorsqu’il a rencontré les journalistes après son élection. Dans Evangelii Gaudium: “Il faut affirmer sans détour qu’il existe un lien inséparable entre notre foi et les pauvres. Ne les laissons jamais seuls” (48). Naturellement, l’option préférentielle pour les pauvres de la part des religieux doit être évangélique (c’est-à-dire pratiquée en vivant le détachement de tout pour suivre Jésus, le Seigneur Crucifié-Ressuscité) et ecclésiale (vécue en Église, dans la communion).

Dans cette logique, les congrégations religieuses qui sont plus nanties sont invitées – par exemple – à s’ouvrir et à aider celles qui sont dépourvues, en appuyant en particulier ces nouvelles familles religieuses (je pense à l’Amérique centrale, l’Amérique latine, à l’Afrique) qui bénéficient de vocations nombreuses, généreuses et authentiques, mais qui sont pauvres de moyens. Chères religieuses et religieux, avec la page de l’Évangile proclamé aujourd’hui, nous nous rappelons que nous sommes débiteurs de l’Évangile pour l’humanité. L’Église est née pour cela : pour porter l’Évangile à toute l’humanité et réaliser ainsi l’aspiration de Jésus : “Que tous soient un” (Jn 17,21). Tout cela doit mettre en vous une tension dynamique : être évangélisateurs, annonciateurs de l’Amour de Dieu pour tous. Vous êtes des personnes consacrées – selon les différents charismes propres à chaque Congrégation – précisément pour cela : pour annoncer.
Vous pouvez être assurés que précisément en ‘allant dehors’, en aimant, en annonçant, en vivant la prophétie de la primauté de Dieu, la prophétie de l’Église-Communion, la prophétie de l’Église pour les pauvres, vous grandirez dans votre identité de Consacrés, et vous réaliserez le but pour lequel chaque Congrégation est née : la gloire de Dieu et le salut du monde. Tel est l’engagement auquel le Pape François vous appelle, dans l’Année de la vie consacrée qui s’annonce. Amen.